Acquisitions récentes

Reproduction photographique de « La Carriole du père Junier », Album Henri Rousseau
© Musée de l'Orangerie, dist. RMN-Grand Palais / Allison Bellido
Corps de texte

Albums de Paul Guillaume

Les albums dits de Paul Guillaume rejoignent la collection du musée de l’Orangerie. L’ensemble, composé de 17 recueils de photographies d’oeuvres ayant appartenu au marchand d’art Paul Guillaume, constitue une source essentielle pour l’histoire du musée qui conserve près de 150 oeuvres de ce célèbre collectionneur du début du XXe siècle.

Reproduction photographique de « La Carriole du père Junier », Album Henri Rouss
Reproduction photographique de « La Carriole du père Junier », Album Henri Rousseau
© Musée de l'Orangerie, dist. RMN-Grand Palais / Allison Bellido

Leur acquisition, grâce au don de Messieurs Marc et Sébastien Blondeau par l’intermédiaire de la Société des Amis des Musées d’Orsay et de l’Orangerie, enrichit le musée d’un précieux fonds d’archives, alors que les documents sur l’activité de Paul Guillaume sont particulièrement rares.
De 1914 à sa mort en 1934, Paul Guillaume rassemble une extraordinaire collection de plusieurs centaines de peintures, de l'impressionnisme à l'art moderne, alliée à des pièces d'art africain. Devenu célèbre en Europe et jusqu’aux États-Unis, il meurt en pleine gloire, alors qu’il songeait à fonder un musée. L’Etat français se porte acquéreur de la collection à la fin des années 1950, auprès de sa veuve Domenica, remariée à l'architecte Jean Walter. Destinées à être présentées au musée de l’Orangerie, les oeuvres intègrent les musées nationaux sans aucun fonds d’archives pour les documenter.
Aussi, le musée s’attache à rassembler tout élément susceptible d’éclairer l’histoire de la collection. En 2006, Alain Bouret - fils du critique d’art et écrivain Jean Bouret, dernier compagnon et légataire universel de Domenica Walter - fait don à l’Orangerie d’un ensemble de près de 1300 documents composé de lettres, coupures de presse, photographies et catalogues d’expositions de la Galerie Paul Guillaume.
Vraisemblablement réalisés à partir des années 1920, ces 17 albums datent de la période où Paul Guillaume développe fortement son activité de collectionneur. Ils rassemblent des photographies d’oeuvres lui ayant appartenu mais aussi d’oeuvres auxquelles il a porté un intérêt, pour des projets d’expositions ou de publications, notamment pour la revue Les Arts à Paris qu’il publiait alors.
Composés de photographies noir et blanc de tableaux de Marie Laurencin, Henri Matisse, Amedeo Modigliani, Pablo Picasso, Auguste Renoir, Henri Rousseau, Chaïm Soutine, Maurice Utrillo etc, ces albums monographiques viennent enrichir les archives du musée. Leur acquisition ouvre de nouvelles perspectives pour l’étude et la recherche autour des collections.

 

Deux lettres de Claude Monet adressées à Georges Clemenceau

L’achat par le musée de l’Orangerie, en avril 2021, de deux lettres de 1925 adressées par Monet à Clemenceau éclaire l’un des moments les plus houleux de la longue genèse des Nymphéas.

Première page de la lettre de Claude Monet adressée à Georges Clemenceau, 6 janvier 1925
Première page de la lettre de Claude Monet adressée à Georges Clemenceau, 6 janvier 1925

 

L’amitié qui unit Claude Monet et Georges Clemenceau est bien connue, en particulier grâce à leur correspondance, et aux Nymphéas, le chef d’œuvre du musée de l’Orangerie. Les deux hommes se sont rencontrés au début des années 1860 et ont tissé des liens qui, le temps passant, n’ont fait que se renforcer jusqu’à la mort du peintre en 1926. Monet partage avec Clemenceau des idées républicaines et le goût prononcé pour les arts de Clemenceau est incontestable. Le 12 novembre 1918, au lendemain de l’armistice, Monet écrit à Georges Clemenceau : "Je suis à la veille de terminer deux panneaux décoratifs, que je veux signer du jour de la Victoire, et viens vous demander de les offrir à l’État, par votre intermédiaire." L’intention du peintre est d’offrir à la Nation un véritable monument à la paix.

Dans la première, datée du 6 janvier, Monet revient sur sa volonté de donner à l’État ses Nymphéas comme il l’avait promis au lendemain de l’armistice, le 12 novembre 1918 : "Mon bon ami, je vais vous faire de la peine, mais je n'ai plus la force de lutter et il me faut dire une fois la vérité. Ma vie est une torture. Je ne suis plus bon à rien […] et tant que je serai vivant la donation promise ne sera exécutée." Clemenceau répond immédiatement au peintre : "Mon malheureux ami. Si vieux, si entamé qu'il soit, un homme, artiste ou non, n'a pas le droit de manquer à sa parole d'honneur - surtout quand c'est à la France que cette parole fut donnée […] si vous maintenez follement votre décision, j'en prendrai une aussi qui me sera plus douloureuse peut-être qu'à vous-même [..]".

Cet échange marque le début d’un intense moment de tension dans le difficile accomplissement du projet. Jean-Noël Jeanneney déchiffre cet épisode dans sa préface de 2019 à l’édition de la correspondance échangée par Monet et Clemenceau comme l’un de "ceux où le commerce de leurs âmes paraît près de se rompre, parce que l’enjeu se fait, au sens propre, vital". Pourtant, dans la seconde lettre, rédigée le 27 juin 1925 alors que les deux hommes sont en train de renouer, Monet annonce l’amélioration de sa santé, une reprise du travail et la réconciliation : "[…] enfin je revois toute chose de sa couleur. J'ai donc repris mes pinceaux une première tentative n’a pas eu de bons résultats mais, j’ai recommencé autre chose mais me voilà emballé comme jadis".

Les deux missives rejoignent et enrichissent considérablement un ensemble de lettres, centré sur la donation des Nymphéas à l’État. Cette correspondance a été acquise par le musée il y a dix ans ; elle comporte notamment la lettre de Monet par laquelle il accepte, le 31 octobre 1921, que les Nymphéas soient présentés à l’Orangerie des Tuileries.

Marie Laurencin, "Portrait de Guillaume Apollinaire"

 

Acquis en vente publique le 7 novembre 2019, Portrait de Guillaume Apollinaire de Marie Laurencin vient compléter l’ensemble conservé dans la collection Walter-Guillaume du musée de l’Orangerie.

Marie Laurencin (1883-1956), Portrait de Guillaume Apollinaire, 1908-1909 28,2 x 20,3 cm, huile sur carton © Fondation Foujita / Adagp, Paris, 2019
Marie Laurencin (1883-1956), Portrait de Guillaume Apollinaire, 1908-1909
28,2 x 20,3 cm, huile sur carton © Fondation Foujita / Adagp, Paris, 2019

En mai 1907, Pablo Picasso présente Marie Laurencin à Guillaume Apollinaire à la galerie Laffitte, où la jeune artiste expose pour la première fois.
À vingt-quatre ans, elle a déjà tissé un réseau de relations dans le monde des arts, avec Georges Braque, Francis Picabia, Georges Lepape rencontrés à l’académie Humbert - qu’elle fréquente à partir de 1904 -, ou avec Henri-Pierre Roché, son amant et mentor qui, le premier, s’intéresse à son travail et contribue à la réputation de femme indépendante et émancipée qu’elle cultive.
Elle entretient jusqu’en 1912 une relation passionnée avec Apollinaire et fréquente avec lui le Bateau-Lavoir, puis Montparnasse, au coeur de l’avant-garde parisienne. Laurencin se lie d’amitié avec Fernande Olivier, Max Jacob, André Salmon mais aussi avec Gertrude Stein.
En 1908 elle peint Groupe d’artiste, composition rassemblant Picasso, Fernande Olivier, elle-même et, au centre, Guillaume Apollinaire. Acheté par la collectionneuse et mécène américaine Gertrude Stein, il est aujourd’hui conservé au Baltimore Museum of Art. Ce tableau précède une peinture plus allégorique, hommage au poète, Apollinaire et ses amis achevée l’année suivante, sur laquelle sont rassemblées les mêmes figures auxquelles s’ajoutent les poètes Marguerite Guillot et Maurice Cremnitz ainsi que Gertrude Stein.
L’une de ces études, cette petite peinture, anticipe plutôt qu’elle ne prépare véritablement les deux tableaux remarquablement importants dans l’oeuvre de l’artiste. Elle est peinte dans la manière caractéristique de Laurencin autour de 1908. Le sujet est présenté très directement, de face, frontal, torse nu, sans détails. Le portrait est dessiné rapidement d’un trait ferme et simplifié, avec une simplicité qui correspond à la description qu’Apollinaire fait de ses peintures présentées au Salon des Indépendants de 1909. La frontalité accentuée de la peinture, le regard perçant, l’attention portée à la bouche dessinée, presqu’incisée et peinte font de cette oeuvre une évocation vivante et émouvante de la relation entre les deux artistes.
Cette oeuvre est antérieure à l’ensemble conservé aujourd’hui dans la collection Walter-Guillaume du musée de l’Orangerie. Elle en est aux origines puisque Guillaume Apollinaire constitue une figure tutélaire pour Paul Guillaume. Plus exactement, Marie Laurencin a rencontré Paul Guillaume avant 1912 (date de la première lettre conservée dans les archives du musée), sans doute grâce à Apollinaire qui l’a constamment guidé jusqu'à sa mort en 1918 et l’a fermement et judicieusement conseillé sur les orientations à donner à sa galerie.

André Derain, "Nature morte aux fruits"

Acquise en vente publique le 4 juin 2019, Nature morte aux fruits d'André Derain vient compléter le riche ensemble des œuvres de l'artiste conservé par le musée de l’Orangerie, témoignage des liens qui unissaient le peintre et le marchand Paul Guillaume, à l'origine de cette collection.

André Derain (1880-1954), Nature morte aux fruits, vers 1920 Huile sur panneau, 46 x 55 cm. © Christie’s Images Ltd 2019 © ADAGP, Paris
André Derain (1880-1954), Nature morte aux fruits, vers 1920
Huile sur panneau, 46 x 55 cm. © Christie’s Images Ltd 2019 © ADAGP, Paris

En 1916, c'est en effet dans la galerie Paul Guillaume que Derain organise sa première exposition personnelle, à l'initiative de Guillaume Apollinaire. Il signe ensuite en 1922 avec le marchand un contrat d’exclusivité d’achat de ses œuvres, leur collaboration fructueuse et prolifique ne prenant fin qu’avec la mort soudaine de Paul Guillaume en 1934.
Nature morte aux fruits s'inscrit parfaitement dans le corpus homogène des Derain de l'Orangerie, constitué de paysages, natures mortes, nus et portraits, représentatifs du goût de Paul Guillaume pour le versant classicisant de l’artiste.
Après avoir été l'un des instigateurs de la révolution fauve au début du XXe siècle, Derain opère progressivement un tournant stylistique. A la veille de la Première Guerre mondiale, il affirme son goût pour l’art des primitifs italiens, en germe depuis 1911. La Cène (Chicago, The Art Institute), peinte cette année-là, témoigne de cette nouvelle manière. Puisant aux sources de la "grande" peinture, Derain y affermit son esthétique archaïsante, synthétique et plane, dont la matité chromatique s’oppose à l’outrance des Fauves.
Mobilisé dès le début du conflit, Derain reprend les pinceaux en 1918 à la faveur de ses permissions. Stationnant l’année suivante à Mayence, il y découvre l'industrie textile et l’univers de la scène, concevant les décors et costumes pour L’Annonce faite à Marie de Claudel, avant de travailler aux décors, costumes et rideau de scène de La Boutique fantastique, présentée par les Ballets russes à l’Alhambra de Londres, le 5 juin 1919.Peinte au cours de cette période la Nature morte aux fruits est tributaire de cette esthétique théâtrale, qui renoue avec le style adopté par Derain avant-guerre. Telle un décor de théâtre, la composition est très épurée et synthétique. Le traitement en aplat des feuilles est caractéristique des années 1919-1920 chez l'artiste, tout comme celui du pot en terre, cylindrique et haut.L’intérêt de Derain pour le décoratif se conjugue ici avec celui pour la peinture du Quattrocento. La palette claire, les formes stylisées évoquent les coloris mats des artistes siennois et l'oiseau rappelle le Prêche de Saint François, fresque exécutée par Giotto dans la basilique d’Assise. Ce motif était déjà présent dans Le Joueur de cornemuse de 1911 (Minneapolis Institute of Art), œuvre représentative de la période "byzantine" ou "gothique" de l’artiste.
Puissante et hermétique, d’une grande simplicité formelle, Nature morte aux fruits témoigne de la volonté qu'a Derain d’atteindre la vérité silencieuse des choses, construisant ses œuvres "selon une cosmogonie spirituelle".

Statuette Lega provenant de la collection Paul Guillaume

Le musée de l’Orangerie a acquis une statuette Lega provenant de la collection Paul Guillaume après une vente du 30 octobre 2018 à Paris, de gré à gré.

Statuette Lega (Congo). Ivoire. Soclée par Kichizô Inagaki (1876-1951) Hauteur : 14,7 cm. Paris, Musée de l’Orangerie © Christie’s 2018
Statuette Lega (Congo). Ivoire. Soclée par Kichizô Inagaki (1876-1951) Hauteur : 14,7 cm. Paris, Musée de l’Orangerie © Christie’s 2018

Les scarifications en forme de cercle, la simplification formelle font de cette figurine un objet très caractéristique des productions du peuple Lega vivant au coeur des forêts d’Afrique centrale. Franchir les échelons au sein de cette société impliquait une série d’initiations accompagnés de présents et de paiements. Certaines cérémonies se marquaient par le dévoilement du "panier du pouvoir" qui contenait insignes, cuillères et statuettes en ivoire ou en défense d’éléphant. De petite taille, les statuettes portent toutes un nom et évoquent une histoire. Lors d’une nouvelle initiation, les grands initiés sortaient les ivoires de leur sac, les installaient et les frottaient avec de l’huile ce qui leur donne une belle patine dorée et chaude.

Paul Guillaume, formé par Guillaume Apollinaire avec qui il se lia d’amitié en 1911, rassembla des sculptures africaines et océaniennes et monta des expositions d’abord à New York puis à Paris. Les "Annales coloniales" du 14 juillet 1912 annonçaient la création de la "Société d’art et d’archéologie nègre", dont Paul Guillaume se présentait comme le délégué. En 1913, il fonda également "la Société des Mélanophiles", dont firent sans doute partie Apollinaire, Marius de Zayas et Savinio.

La création de ces deux sociétés savantes concrétisait la volonté de Paul Guillaume et celle de Guillaume Apollinaire de légitimer leur intérêt pour l'art africain, lui donner une assise scientifique et témoigner d'un regard historique, en même temps qu'esthétique.
Pour constituer son fonds, Paul Guillaume cherchait des objets auprès des artistes, fréquentait l'Hôtel Drouot et développait ses propres importations avec les "coloniaux". Il contribua à la popularisation de l’art nègre et influença durablement les goûts des collectionneurs. "Je suis un révolutionnaire", écrivait-il. Même si la révolution avait déjà commencé avec Carl Einstein, Vlaminck ou Apollinaire quand il fit son apparition sur la scène française et internationale mais, il était en prise avec son époque, en affirmant au sujet de l’exposition et de la Fête nègre de 1919 dans sa revue Les Arts à Paris sous le pseudonyme de Collin d’Arbois : "Nous n’avons fait ni ethnographie, ni histoire. Nous nous sommes placés du point de vue de l’art".
Le 9 novembre 1965, cette statuette Lega a été vendue ainsi que l’ensemble de la collection et du stock d’art africain de Paul Guillaume qui se trouvait toujours chez sa veuve, Domenica Walter. Elle était reproduite dans le catalogue et figurait aussi dans un des deux albums de Paul Guillaume consacrés exclusivement aux arts extra-européens. Ces volumes, probablement réalisés dans les années 1930, permettent d’entrevoir ce qui pouvait se trouver entre les mains du marchand.

Amedeo Modigliani, "Portrait de Paul Guillaume à mi-cuisse"

En dehors de ses portraits peints, Modigliani a réalisé plusieurs dessins de son marchand et mécène. Celui acquis lors de la vente à la maison Ader le 24 mars 2017 se rapporte directement au portrait peint.

Amedeo Modigliani, Portrait de Paul Guillaume à mi-cuisse
Amedeo Modigliani, Portrait de Paul Guillaume à mi-cuisse

Entre 1915 et 1916, Modigliani réalise quatre portraits peints de son mécène. Le premier d’entre eux, conservé au musée de l’Orangerie, proclame la relation privilégiée qu’entretiennent le marchand et l’artiste en ce début de 1915. Paul Guillaume, qui n’a alors que vingt-trois ans, y prend la pose dans l’appartement de l’amie de Modigliani, Beatrice Hastings.
En lettres capitales, sur le modèle des enseignes publicitaires - mais aussi des toiles de ses compatriotes futuristes -, Modigliani écrit le nom du marchand, ainsi que des inscriptions, en un manifeste teinté d’humour : c'est Paul Guillaume, "Novo Pilota", qui donne la direction. A la manière d’un pilote automobile ou d’un pionnier de l’aviation, il prend en main la destinée de la jeune peinture.
Sur un registre plus personnel, Modigliani l’invoque en nouveau guide de sa vie d’artiste : en pleine guerre, dans un moment de profond dénuement, Paul Guillaume endosse le rôle d’un soutien matériel et moral.
 

Le Portrait de Paul Guillaume à mi-cuisse, à la ligne claire, croque la nonchalance du modèle en dandy, une main tenant son col. Différent dans sa composition de la toile conservée à l’Orangerie, il s’y rapporte directement par l’inscription en lettres capitales "NOVO PILOTA" en bas à gauche, surmonté d’une croix, à l’exacte même place. Si le dessin est non daté, ces éléments précis nous amènent à proposer une datation contemporaine de celle de la toile.

L’acquisition de cette œuvre provenant directement de la collection Paul Guillaume est une opportunité rare pour le musée de l’Orangerie puisqu’il est resté dans la famille de Domenica Walter, mais aussi par le lien étroit entretenu avec le portrait peint déjà conservé à l’Orangerie.