Votre parcours musical est celui d’un autodidacte qui semble guidé par l’exploration de territoires inconnus, exploration qui vous a mené à opérer l’union de deux mondes opposés, le classique et la techno. Ce « mélange est venu naturellement » dites-vous. Comment s’est fait ce cheminement ?
Effectivement, je n’ai pas eu un parcours « académique », je suis plutôt issu du rock où le fait d’être autodidacte est beaucoup plus courant, presque normal. Plus jeune, je jouais dans des groupes, plutôt à la guitare, malgré le fait que le piano a toujours été mon instrument préféré. En parallèle j’ai également créé plusieurs projets solos assez confidentiels où je mélangeais toute sorte de styles de musique de manière parfois indigeste certes mais j’avais déjà ce besoin de croiser les univers, de tenter de faire une musique qui me serait propre. J’ai commencé à m’intéresser à la musique électronique dans les années 2010 et je produisais déjà sur ordinateur depuis quelques années, l’idée de pouvoir tout réaliser de chez moi offre une certaine liberté, une instantanéité que je recherche quand je crée. On me demande souvent si j’ai un héritage de musique classique, ce n’est pas vraiment le cas, même si je prends plaisir à en écouter. Les mélodies empreintes de mélancolie au piano, très présentes dans ma musique, font toujours un peu penser à de la musique classique, ce qui m’intéresse, c’est plutôt la dimension dramatique ou bien épique des instruments classiques, comme les cordes et les cuivres par exemple, très présents sur mon dernier album. La musique électronique, elle, est un vecteur, un support solide pour accueillir toutes les musiques et les instruments du monde.
LAAKE, le nom que vous avez choisi, évoque l’univers aquatique, univers qui se retrouve fortement dans les clips de certaines de vos compositions : Run, River, Introspective... Quelle place occupe cet élément dans votre travail ?
C’est un élément important de mon univers, l’eau peut être aussi bien placide que tumultueuse, elle à la fois accueillante et dangereuse. C’est avec cette ambivalence que je construis ma musique et l’image qui en découle, avec cette idée de contraste, qu’une seule et même chose puisse en renfermer plusieurs. J’aime aussi jouer avec les sons et les textures d’eau qui viennent par petite touche dans ma musique.
Dans vos clips, l’eau est fortement présente mais aussi la terre, la roche, le vent, le feu même à travers la lumière dont vous exploitez les variations sur les paysages très sauvages qui sont filmés, comme le faisaient les impressionnistes. Tout cela confère à la fois une force tellurique et une douceur mélancolique à votre musique. Expérimenter à l’image la rencontre des éléments et les contrastes que cela génère est-il un prolongement de votre exploration musicale ?
Je ne réfléchis pas forcément à l’image quand je compose, souvent les idées me viennent après, j’attends que la musique influence directement l’image. L’image est au service de la musique dans ma démarche. Étant graphiste à la base, j’ai toujours eu ce besoin de lier les deux, j’ai par exemple une approche très minimalisme du graphisme alors que ma musique est parfois beaucoup plus chargée, toujours ce besoin presque inconscient d’associer des choses opposées. La musique électronique est souvent associée à la ville, à la technologie, à la foule, j’aime cette idée de la mettre en image avec la nature qui est à la fois douce et violente, lisse et rugueuse.
Votre univers est marqué par un retour aux sources sans rejet de la modernité, une modernité dont la peinture impressionniste était porteuse. Quel parallèle faites-vous entre la peinture et la musique, entre l’image et le son ? Nous avons évoqué la lumière précédemment que vous convoquez même dans les titres de certains morceaux (Diffraction, Lights). Voyez-vous un lien entre votre démarche musicale, très libre, et celle des peintres impressionnistes ?
La lumière en effet est très importante, dans la peinture, comme dans la musique. Il n’y a pas d’ombre sans lumière et vice versa. J’essaye d’insuffler ces touches de contraste dans mes créations en faisant varier les intensités, de manière parfois brutale, le chaos n’a aucun intérêt pour moi s’il n’y a pas eu un moment calme avant.
La modernité est une notion qui ne m’intéresse pas vraiment dans l’art en général, ce qui m’intéresse c’est l’intemporalité, et la peinture impressionniste, bien qu’issue d’un mouvement, une période passée, se révèle aujourd’hui comme hors du temps. En comparaison, le cubisme, qui est le mouvement qui vient chronologiquement juste après et qui contient également ce thème fort de la modernité, m’apparait beaucoup plus daté, ancré dans une période restreinte, même si je reconnais l’importance du mouvement. La peinture et la musique pour moi fonctionnent de la même manière, il y’a des périodes, des styles, des techniques. Ce que je cherche à faire en créant ma musique, c’est ne surtout pas rester coincé dans une période, une mode ou un style.
Le titre de votre dernier album « O » convoque l’orchestre qui vous accompagne (on pourrait encore ici parler de fusion des éléments dans l’harmonie) mais aussi le cercle, l’ovale, forme naturelle qui apparait dans le clip, même au milieu du chaos urbain. On pense alors aux salles elliptiques des Nymphéas. Comment imaginez-vous la rencontre de votre musique avec le chef-d’œuvre monumental de Claude Monet ? Qu’avez-vous imaginé pour cette soirée « Retour aux sources » ?
C’est un honneur pour moi d’être invité à jouer parmi ces œuvres majeures, quelques années en arrière j’aurais été loin d’imaginer ça. J’imagine la rencontre comme quelque chose d’assez fort. J’aime l’idée que les spectateurs puissent contempler les tableaux en écoutant la musique, d’ailleurs je pense que moi-même j’aurai parfois les yeux rivés sur les tableaux. Je serai accompagné par la violoncelliste Juliette Serrad, avec qui je joue depuis de nombreuses années, nous allons réinterpréter certains des morceaux de « O » et de mon EP « PIAANO » en version plus intimiste et laisser l’improvisation nous guider.